Depuis plusieurs mois, l’héritage de Pierre de Coubertin, père de l’Olympisme moderne, rénovateur des Jeux, est attaqué de toutes parts. Il apparaît important au Comité Coubertin de reposer, par les faits, la réalité sur la personnalité de Pierre de Coubertin, un homme de bien, mais aussi sur ses idées, novatrices voire révolutionnaires, et ses engagements – humanistes et éclairés.
A la fin du XIXe siècle, alors que la France est marquée par le désastre de la guerre de 1870-1871, qu’elle est en pleine explosion économique et diplomatique, que se pose la question de la puissance “physique” des soldats et de la régénération de la Nation, la grande préoccupation de Pierre de Coubertin est l’éducation de la jeunesse de son époque. Au cours des décennies suivantes, il milite pour que celle-ci fasse une place importante à l’activité physique : « (…) Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport. Pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent. Pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes. Impossible de sortir de là. Tout se tient et s’enchaîne (…) » (Revue Olympique n°91 – Juillet 1913). Mais pour que l’exemple de ces “cinq” soit bénéfique, il leur faut une vitrine. Et en 1892-1894, quoi de mieux pour ce faire que de ressusciter les Jeux olympiques qui permettent de relier cette innovation pédagogique aux humanités classiques ?
DES REPROCHES AMBIGUS
Colonialiste ? Jusqu’à la fin de la guerre d’Indochine en 1954, l’enseignement de l’histoire-géographie à l’école de la République repose largement sur l’Empire colonial. Toutes les classes sont ornées des grandes images d’Epinal cartonnées : cartes de l’Afrique Occidentale Française, de l’Afrique Equatoriale Française, prise de la smala d’Abd-el-Kader par le duc d’Aumale, Savorgnan de Brazza à travers la forêt tropicale, rizières du Tonkin labourées par des buffles à larges cornes… Le colonialisme est un fait d’époque. Reprocher à une personne décédée en 1937 d’être colonialiste, c’est oublier notre propre Histoire – ou celle de nos parents. Concernant Coubertin, c’est ignorer par exemple l’empathie sans réserve qu’il exprima fortement en faveur de l’Afrique, et plus précisément de l’Afrique noire, dans son Histoire Universelle (1926-1927).
Raciste ? Jusqu’aux années 1920, tous les ouvrages consacrés aux activités physiques emploient constamment le mot « race ». La « race » qu’évoquent ces ouvrages n’a rien de « supérieure » ; elle est « à régénérer » en s’inspirant justement du mode de vie des débuts de l’espèce humaine. Les théories racistes nazies ont fait une tout autre et tragique interprétation en mésusant du mot “race”. La condamnation par Coubertin des deux journées « anthropologiques » des Jeux de Saint-Louis en 1904 s’inscrit bien contre ce sens délétère.
Pro-nazi ? Jusqu’à la signature du pacte germano-soviétique le 23 aout 1939, une grande partie de l’opinion publique et de la classe politique européenne espère en une Allemagne forte pour barrer la route au bolchevisme. Un an après le décès de Coubertin, le Français Edouard Daladier et l’Anglais Neville Chamberlain reviennent de Munich persuadés que Monsieur Hitler est quelqu’un de très fréquentable. Peut-on pour autant accuser Coubertin de pro-nazisme pour avoir remercié en 1936 l’organisateur de Jeux olympiques – attribués par le C.I.O. à la République de Weimar en 1931 et non au III° Reich instauré en 1933 – lui dont toute l’œuvre s’est attachée, à l’opposé des régimes totalitaires et dictatoriaux, à promouvoir l’être humain, dans la plénitude de son corps, de son esprit et de sa liberté ? De plus, ceux qui le mettent en cause oublient de signaler la prudence du baron qui refuse le train personnel qu’Hitler lui propose pour se rendre à Berlin. Ils oublient également la lettre de Pierre de Coubertin à Carl Diem, le secrétaire du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Berlin, en 1936. Chargé de lire le discours de Pierre de Coubertin à la tribune (Pierre de Coubertin n’était pas présent à Berlin) il se verra reprocher par celui-ci d’avoir édulcoré ce discours de ses appels à la paix et la fraternité.
Misogyne ? Beaucoup de nos villages comportent encore deux bâtiments avec chacun à leur fronton « Ecole des garçons » ou « Ecole des filles ». Au début des années 1960 les études secondaires ne sont toujours pas mixtes tandis que, par exemple, dans les églises le dimanche, les femmes sont cantonnées sur les bancs de gauche, et les hommes sur ceux de droite. A son époque, Jules Ferry légifère quant à lui sur la scolarité des garçons et Camille Sée sur celles des filles. Jules Ferry en est-il pour autant réputé misogyne ? En 1920 le sport de Coubertin est éducatif et l’éducation n’est pas mixte. Les deux plus importantes fédérations sportives, l’Union des Sociétés de Gymnastique de France (fondée en 1873) et la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (fondée en 1898) soutiennent prudemment une fédération féminine « à côté ». De surcroît la faculté de médecine reste réticente à l’égard de la pratique des sports « violents » (tel le football et l’athlétisme) par les femmes. Quant à l’opinion de Coubertin sur le statut social de la femme, il l’exprime en toutes lettres dès 1901 : « (…) Que les lois la protègent, qu’on la mette en mesure de résister, et même d’échapper à la tyrannie maritale, rien de plus légitime ; que l’on pourchasse partout où on les rencontre, les dispositions ineptes ou immorales comme celles par lesquelles le code civil français édicte la tutelle perpétuelle de la femme, rien de plus nécessaire. Que l’on se préoccupe enfin d’assurer à celles qui ne se marient pas, les moyens de gagner honnêtement leur vie, rien de mieux. Il convient de travailler à l’égalité des sexes (…) La femme (…) est avant tout la compagne de l’homme ; mais qui dit compagne, aujourd’hui, dit associée » (Notes sur l’éducation publique – Chapitre XVII).
UN ZESTE DE RIGUEUR ET DE BON SENS
On ne juge pas le passé à l’aune d’un présent que le futur reniera peut-être. Ce qu’on reproche à Coubertin, ce sont des marques du temps de la IIIe République, voire de la IVe. L’homme est complexe, il n’est ni lisse, ni parfait : mais qui l’est ?
Les reproches stéréotypés adressés à Pierre de Coubertin reposent en général sur une ignorance et une méconnaissance profonde de sa vie et de son œuvre – laquelle va bien au-delà du seul thème olympique -, ainsi que de son évolution constante au fil de son existence, évolution qui va de pair avec sa continuité de pensée et d’action.
Les faits parlent d’eux-mêmes. Ainsi de très nombreux lycées portent son nom à travers le monde : au Japon, en Amérique du Sud, au Canada, en Europe orientale.
Au moment où le monde entier vient célébrer les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 « au pays de Coubertin », le retour à un minimum de bon sens parait pour le moins nécessaire.
Comité Coubertin – Pôle Héritage & Communication
Vendredi 31 mai 2024
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